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Transidentité

Publication : 24/03/2017
Écrit par : Alexandre Magot et Ségolène Roy
avec le concours de Loé Lis et Sacha Touilh

 

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I – Les différents rapports au genre

On nomme transidentité le fait de ne pas se reconnaître dans le genre assigné à la naissance. On parle ainsi d’individus transidentitaires (ou encore trans). L’identité de genre dans laquelle on se reconnaît peut alors correspondre à l’un des deux genres (femme et homme) établis par la domination masculine, ou pas.

On parle de « femme trans » pour évoquer une personne assignée garçon à la naissance qui est une fille ou une femme (en anglais on peut utiliser, pour préciser, l’expression « MtF » – male to female) et d’« homme trans » (en anglais « FtM » – female to male) pour évoquer une personne assignée fille à la naissance qui est un garçon ou un homme. Les personnes qui ne se reconnaissent pas dans le genre qui leur a été attribué, sans se reconnaître non plus dans l’autre genre hétéropatriarcal, peuvent se nommer simplement trans Ft* ou trans Mt*.

Pour parler de l’ensemble des personnes assignées femmes ou hommes à la naissance sans préjuger de leurs identités de genre, on peut parler de personnes « AFAB » (assigned female at birth – assignées fille à la naissance) ou « AMAB » (assigned male at birth – assignées garçon à la naissance). Ces termes s’appliquent aussi bien aux personnes cis que trans.

Quand il y a correspondance entre l’identité de genre d’une personne et le sexe qui lui a été attribué à la naissance, on parle d’individu cisgenre ou cis, d’homme cis(genre) ou de femme cis(genre).

On peut aussi ne se reconnaître ni dans une identité de genre féminine, ni dans une identité de genre masculine – on parle alors de personnes non binaires –, ou se reconnaître dans une identité de genre fluctuante – on parle alors de personnes fluides dans le genre (genderfluid).

Les travaux d’Elisabeth Meyer sur la transidentité chez les enfants montrent que 8 % des enfants sont non conformes aux normes de genre et évoquent le concept de variance de genre (pour des enfants alors qualifié·e·s de gender variants) pour insister sur le fait qu’il n’existe pas une seule forme de transidentité, mais bien des transidentités, qui entretiennent, à un degré variable, une certaine distance avec les normes de la société.

 

II – Enjeux de vocabulaire

Parfois, on instaure une distinction entre les personnes qui ont eu ou non recours à des opérations de réassignation sexuelle, par les termes « transsexue·le·s » et « transgenres » : les individus dits transsexuels seraient les personnes trans ayant subi des procédures de réassignation sexuelle (hormonales ou chirurgicales) pour faire coïncider leur identité de genre et leur anatomie apparente, notamment génitale. Les individus dits transgenres seraient, dans cette logique, des personnes trans qui rejettent l’identité de genre qui leur a été assignée, mais qui n’ont pas suivi de protocole médical de réassignation sexuelle.

Pour éviter ces divisions reposant sur l’anatomie du sexe – alors que l’identité de genre en est justement indépendante –, et ne pas créer une distinction non pertinente entre personnes opérées ou non, on préfère utiliser des termes génériques de transidentitaire ou trans. Le terme de « transsexuel » est également souvent rejeté par beaucoup de trans du fait qu’il fait référence au transsexualisme (voir plus loin), vision pathologisante des transidentités, et pour insister sur le fait qu’il est bien question ici de l’identité de genre, indépendamment de quelconque caractéristique physique ou anatomique.

D’autre part, l’utilisation d’expressions telles que « être né·e dans le mauvais corps » / « un homme dans le corps d’une femme » / « une femme dans le corps d’un homme » peut participer à invalider les corps trans. Si cela peut correspondre au ressenti de certaines personnes, cette phrase participe à une injonction à « normaliser les corps trans », c’est-à-dire à ne reconnaître l’identité de genre d’une personne qu’à condition qu’elle soit passée par une « mise en conformité » de son corps (par voie chirurgicale ou hormonale). Mais l’identité des personnes trans n’est pas liée à leur anatomie. Une personne avec un pénis peut s’identifier dans le genre masculin, féminin, les deux ou aucun des deux. Certaines personnes trans ne rejettent pas leur corps, et leurs identités n’en sont pas moins valides. L’existence de personnes trans démontre précisément que ce n’est pas l’apparence du corps et l’assignation à la naissance qui peut en découler qui détermine l’identité de genre d’une personne. Il est donc important d’éviter ces formulations, et d’éviter autant que possible pour les enseignant·e·s de genrer des organes. Un pénis ne fait pas un garçon, et de la même manière qu’une fille trans ayant un pénis n’en est pas moins une fille, et qu’une personne trans non binaire, quelle que soit l’apparence de ses organes génitaux, n’a pas à être identifiée comme un homme ni comme une femme.

 Il y a parfois une confusion entre les trans et des personnes qualifiées de travesties, c’est-à-dire qui s’habillent selon les codes de l’autre genre socialement reconnu. Si l’adoption par des femmes de costumes traditionnellement masculins s’est « normalisée » (plus d’égalité semble consister à pouvoir, pour les femmes, adopter des codes anciennement « masculins »), elle a longtemps été considérée comme subversive, puisqu’elle permettait aux femmes d’en tirer des privilèges indus (exercer un métier ou une fonction, mais aussi fréquenter des lieux réservés aux hommes), la loi ne considérant pas les deux genres comme égaux [1].

Aujourd’hui, le terme de travestissement est davantage associé au travestissement d’hommes en femmes. Sa charge stigmatisante (qui date de celle de l’homosexualité masculine au XIXe siècle) demeure, parce que le genre féminin est considéré comme inférieur et qu’il sert de repoussoir au masculin pour se construire dans la logique de la domination masculine. Cette logique faisant également de l’hétérosexualité la norme, on retrouve dans ce cas de figure le « risque » pour les hommes cis hétérosexuels de se faire « avoir » [2], en particulier sexuellement, ce qui les exposerait à questionner leur orientation sexuelle. Dans le contexte d’une homophobie et d’une transphobie intériorisées par eux-mêmes et par leurs pairs, cela mettrait en danger leur virilité.

Le terme de « travestissement » n’a donc de sens que dans un système où le genre est considéré comme soit masculin soit féminin, normalisé et naturalisé, et où l’on considère qu’il est essentiel de pouvoir distinguer clairement les deux par des attributs qui n’ont rien à voir avec l’anatomie. Dans la mesure où il s’agit de normes sociales que nous adoptons, refusons ou adaptons, chacun·e se « travestit », en homme, en femme ou en un genre propre. Les personnes cisgenres et vêtu·e·s « comme il se doit », ont appris à s’habiller (comme elles ont appris à se mouvoir, à parler ou à se comporter) « en homme » ou « en femme », c’est-à-dire selon des normes affichant un genre : c’est ce que Judith Butler appelle le fait de « performer » son genre, de jouer la partition d’un genre.

Le travestissement, s’il ne se confond pas avec la transidentité au niveau de l’identité de genre, est un puissant outil de remise en question des normes de genre : l’outrance et le perfectionnisme, chez les artistes drag (drag queens et drag kings) soulignent également la dimension construite de ces performances de genre.

 

III – À normes perçues comme naturelles, écarts perçus comme pathologiques

Aujourd’hui encore, la transidentité est trop souvent considérée comme une pathologie psychiatrique (recensée par le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux – DSM de l’American Psychiatric Association – et la CIM – Classification internationale des maladies – de l’ONU). Les termes employés sont alors ceux de transsexualisme, de dysphorie de genre, de trouble de l’identité de genre, et encore parfois du syndrome de Benjamin. Mais cette psychiatrisation et cette pathologisation des transidentités est pour le moins problématique, dans la mesure où la transidentité est une identité construite en décalage par rapport à des normes qui n’ont rien de « naturel ». Par ailleurs, si des troubles sont associés à la transidentité, ils proviennent finalement du poids des normes présentes dans la société et du refus d’accepter les personnes trans telles qu’elles sont.

Pathologiser les transidentités, et vouloir en « guérir » les personnes transidentitaires, n’est que la traduction d’un refus de voir des personnes vivre en dehors des normes (c’est ce qui se passait il y a encore une vingtaine d’années pour les homosexuel·le·s, qu’on pensait devoir « guérir » de leur homosexualité, considérée comme une maladie par l’Organisation mondiale de la santé jusqu’en 1992). Pour qu’une personne trans puisse vivre de manière tout à fait sereine, c’est à la société – et non aux personnes trans – de changer.

 

IV – Transidentité et bicatégorisation

Certaines sociétés reconnaissent plus de deux normes de genres. Dans les sociétés occidentales, on évoque parfois la notion de 3e sexe, ou 3e genre (alors qu’il en existe parfois bien davantage). C’est par exemple le cas des Mahu ou Rae Rae en Polynésie française, des Fa’afafine des îles Samoa, des hijras en Inde et Bangladesh, des bispirituel·le·s issu·e·s des peuples originaires d’Amérique, ou des vierges sous serment des Balkans. Dans la mesure où ce sont des normes établies par la société, il ne s’agit pas à proprement parler de « transidentités ».

Par ailleurs, ces catégorisations alternatives aux deux seules catégories reconnues administrativement en France sont à ne pas confondre avec la revendication par certain·e·s, et à laquelle plusieurs pays (comme l’Allemagne [3]) ont répondu, d’une troisième case dans l’état civil concernant les personnes intersexes (voir « Intersexuation ») ou avec la mention d’un genre « neutre » (comme en Australie).

Finalement, les transidentités montrent la violence que peut représenter l’enfermement dans des cases administratives qui officialisent la norme alors qu’elles pourraient très bien ne pas exister. C’est pourquoi des mouvements et collectifs trans mais aussi intersexes comme dans le collectif Existrans demandent à ce que soit supprimée la mention de genre à l’état civil. En attendant, et au minimum, l’urgence est l’adoption d’une juridiction du type de celle adoptée en Argentine depuis 2012 (loi 26.743), c’est-à-dire permettant le changement de genre à l’état civil non seulement sans exigence de stérilisation (comme c’était encore le cas en France jusqu’en 2016 [4]), mais aussi via une démarche administrative et non judiciaire (qui laisse les personnes à la merci de l’arbitraire d’un·e juge et reste coûteuse économiquement et psychologiquement). 


NOTES 

[1] Christine Bard, « Le droit au pantalon. Du pittoresque au symbolique », La Vie des idées, 1er mars 2013.
[2] Julia Serano commente ainsi la figure de la « transsexuelle usurpatrice » telle qu’elle apparaît souvent dans les médias : « En accentuant l’idée qu’elles appartiennent « en réalité » au genre masculin, les usurpatrices sont le plus souvent utilisées pour provoquer des réactions d’homophobie masculine chez les autres personnages, ainsi qu’auprès du public. », dans Manifeste d’une femme trans et autres textes, Lyon : Tahin Party, 2014, p. 29.
[3] « L'Allemagne, premier pays européen à reconnaître un 3e genre », Le Monde, 19 août 2013.
[4] Elisa Neufkens, « Changement d’état civil pour les trans* : bilan mitigé de la nouvelle loi pour la justice au XXIe siècle », Europe liberté sécurité justice, 20 octobre 2016.