Femmes et hommes : distinguer l’inné de l’acquis, le biologique du construit
Écrit par : Alexandre Magot
Les caractéristiques dites masculines ou féminines dans la société sont souvent entendues comme intrinsèquement liées au sexe, au point qu’on a tendance – souvent inconsciemment – à confondre « genre » et « sexe » en considérant que les caractéristiques de genre seraient innées, génétiquement déterminées. Or c’est précisément en essentialisant ces caractéristiques de genre, en pensant que ces différences sont « naturelles » et donc systématiques (ou pour le dire encore autrement, que les hommes viendraient de Mars et les femmes de Vénus), que se mettent en place un comportement et des attentes différentes des enseignant·e·s vis-à-vis des élèves selon leur sexe. C’est alors que ce construit, malgré la mixité des classes, une école différente pour les filles et les garçons.
Pour permettre une égalité réelle, permettre un développement libre des élèves indépendamment du sexe qui leur est attribué, non contraint par des idées préconçues, il est donc fondamental de bien distinguer ce qui relève de la biologie de ce qui est socialement déterminé, autrement dit de distinguer l’innée de l’acquis afin de déconstruire les stéréotypes.
I- Distinguer le sexe du genre
1/ La notion de genre
Étudier ce qui, dans le genre, est socialement construit, c’est précisément la vocation des études de genre.
Le genre décrit ce qu’on peut appeler le « sexe social », c’est-à-dire les caractéristiques considérées comme féminines ou masculines dans une société. Si le sexe (homme ou femme) est une description biologique des individus (encore que ce dimorphisme et le fait que ce concept soit purement biologique seront discutés dans la dernière partie), le genre (féminin ou masculin), décrit quant à lui les comportements, les aptitudes, etc. qui y sont généralement associés. Ainsi, le fait d’avoir des ovaires ou des testicules relève du sexe. Le fait de considérer que les femmes aient une attraction particulière pour la littérature plutôt que les sciences, seraient émotives ou préféreraient le rose, alors que les hommes seraient quant à eux plutôt portés sur les activités physiques, manuelles, techniques, seraient agressifs et préféreraient le bleu, relève non pas du sexe, mais du genre.
2/ Les caractéristiques de genre, variables selon le temps et l’espace
Le fait que les caractéristiques de genres soient associées à un sexe particulier ne veut pas dire qu’elles lui soient intrinsèquement liées, c’est-à-dire que ces caractéristiques dites masculines ou féminines soient biologiquement déterminées. Le fait même que ces différences d'attributs varient dans l’espace et le temps montre qu'elles sont soumises à des influences sociale : si ces différences étaient purement génétiques, elles devraient s’observer en tout temps et partout sur le globe.
Or, par exemple, si aujourd’hui une importante libido et l’attrait pour le bleu sont des caractéristiques dites masculines et que la jupe est un vêtement uniquement féminin (en Occident), ça n’a pas toujours été le cas. Au XVIIe siècle, ce sont ainsi les femmes qui étaient censées avoir un appétit sexuel insatiable en Europe, le bleu a longtemps été la couleur des filles – associée à la vierge Marie – et les militaires de la légion romaine portaient une tunique de laine que l’on appellerait aujourd’hui une jupe.
D’autre part le genre est variable également géographiquement : la « jupe » est couramment portée par les hommes en Asie du Sud-Est (sarong), la couture est une activité masculine au Mali, et l’on croise très souvent des hommes tricotant sur l’île de Taquile au Pérou. Cette variation géographique du genre a d’ailleurs été étudiée par l’anthropologue américaine Margaret Mead, qui a observé, dans les années 1920, trois ethnies de Nouvelle-Guinée :
– Chez les Arapeshs, l’ordre social s’organisait en fonction de l’attention portée aux enfants, et la douceur, l’altruisme, la délicatesse étaient des valeurs partagées par les deux sexes.
– Chez les Mundugumors, l’agressivité et l’individualisme étaient de mise : les hommes pratiquaient l’anthropophagie, se livraient des guerres meurtrières, et tout dans l’univers des deux sexes n’était que méfiance, violence et affrontement.
– Chez les Chambulis enfin, les différences de sexe semblaient plus marquées : les hommes y étaient avant tout des artistes, occupés à plaire aux femmes… car celles-ci possédaient le pouvoir économique.
De ces trois études, Mead en a conclu que les différences entre les sexes étaient culturelles et qu’il n’y avait pas de « nature féminine ». Ainsi, les rôles sexuels occidentaux ne sont qu’une variante parmi une infinité de possibles.
3/ Les caractéristiques du genre non fondées
Par ailleurs, il est à noter que certaines caractéristiques de genre bien ancrées dans les représentations ne correspondent à aucune réalité et sont finalement construites de toutes pièces. C’est par exemple le cas du stéréotype de la femme bavarde : ce stéréotype largement répandu a été contredit par des études sociologiques réalisées en France sur le temps de parole dans les conversations mixtes lesquelles ont montré que les hommes parlaient bien plus que les femmes. C’est le cas également pour le stéréotype de la femme mauvaise conductrice, alors que les femmes sont beaucoup moins impliquées dans des accidents de la route que les hommes.
4/ Le double standard : des mêmes caractéristiques interprétées différemment
Un certain nombre de comportement ou trait de caractère, rigoureusement identiques chez les femmes et chez les hommes, sont interprétés de manière totalement opposée. C’est ce que l’on appelle le « double standard ». Là encore les interprétations en termes de genre sont construites de toutes pièces, puisqu’elles varient devant un trait de caractère qui s’exprime de manière identique chez filles et garçons.
Source : traduction de Vazques, Norma (comp.), El ABC del Genero, Asociacion Equipo MAIZ, San Salvador, El Salvador, 2001, dans Nuria Varela, Feminismo para principiantes,
Les nombreuses caractéristiques de genres considérées comme de l’ordre de la « nature féminine ou masculine » sont en définitive loin d’être systématiquement « naturelles ». Ce sont des caractéristiques qui, quand elles s’observent, ne sont pas innées mais souvent acquises au cours du temps. Parfois même ce sont des caractéristiques de fait inexistantes, présentes seulement dans le regard d’autrui.
Pour éviter d’avoir un comportement influencé par ces représentations stéréotypées, il est donc fondamental de distinguer le sexe du genre, pour ensuite voir comment nous participons à construire ces caractéristiques genre – étant entendu que les enseignant·e·s ont une part déterminante dans ces constructions.
>> Lire la suite de l'article : II- La construction du genre : la plasticité cérébrale