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Pédagogie critique de la norme : SVT Égalité répond aux questions de l'IRESMO

Écrit par : Ségolène Roy et Alexandre Magot
Publication initiale :
28 mai 2019

 

Aux mois de mai et juin 2019, l'IRESMO a organisé une "formation digitale interactive" sur Twitter, en 8 sessions, afin de faire connaître les pédagogies critiques/radicales. Voir le programme sur cette page.

Lors de chacune de ces sessions, Irène Pereira – de l'IRESMO – initiait une discussion en posant quelques questions à une ou des personnes invitées, et chacun·e était alors invité·e à réagir.

SVT Égalité était l'une des structures invitées, et nous avons ainsi participé à la 3e session, le 28 mai 2019, sur le thème des pédagogies critiques de la norme. Nous publions ici les réponses que nous avions alors donné aux questions posées.

 

1- Qu'est-ce qu'apporte le fait de s'attaquer aux normes, à la notion d'altérité, dans le cadre d'une lutte contre les discriminations ?

En 1er lieu il faut bien insister sur le fait que les discriminations ne relèvent pas de relations interpersonnelles mais d’un rapport de pouvoir, de domination, à l’échelle de la société.

Les oppressions opérant à l’échelle de la société reposent sur des rapports de pouvoir légitimés par des représentations qui participent à construire et à reproduire l’altérité, à créer une catégorisation excluante.

Tout l’enjeu est donc de s’attaquer à ce cadre. Il ne s’agit plus d’apprendre à “respecter” ou à “tolérer” les “autres”, mais bien de s’attaquer aux mécanismes visant à séparer et à distinguer des autres.

Par exemple, il ne s’agit pas d’appeler au respect de celles et ceux qu’on a racisé·es, mais de s’attaquer au processus de racisation.

Il ne s'agit pas de passer une injonction à "respecter" l'homosexualité à travers un encadré, une activité, mais de s'attaquer à la norme hétérosexuelle qui transparaît dans l'ensemble de nos cours et excluent les autres orientations sexuelles.

Ne pas s'attaquer à ce cadre, c'est le légitimer. C'est essayer de faire rentrer de force ces "autres" dans un cadre qui n'a été fait que par et pour les "un·es". S'attaquer aux normes, c'est donc tenter de faire une école, et une société par et pour tou·tes.

C'est changer l'angle du projecteur aussi.
Les luttes contre les discriminations ont tendance à suivre un modèle de la "main tendue", de la "charité". S'attaquer aux normes permet de s'attaquer aux privilèges et donne la parole aux concerné·es.

 

2- Comment la norme et l'injonction à la normalité s'expriment dans les espaces éducatifs et en particulier les espaces scolaires ?

Les normes définissent le cadre scolaire. Elles sont omniprésentes : dans le curriculum explicite (les programmes officiels), caché (les valeurs, représentations, etc. transmises y compris inconsciemment de façon non explicite) et absent (comme les histoires non transmises).

Ces normes apportent à qui y correspond des privilèges: sentiment de sécurité, de légitimité, présomption d’innocence (en particulier si on est blanc·he), de compétence, un accompagnement spécifique par les profs... Autant de points qui participent à la réussite des élèves.

A contrario, quiconque ne rentre pas dans l’une des normes se voit rappeler à l'ordre. Cette "police de la norme" qui sévit au sein de l'école utilise nombre d’outils, le plus souvent de façon inconsciente. Elle réprime violemment, et exclut de manière très efficace.

C’est une exclusion au sens propre, en participant à mettre les élèves en échec : par exemple en intégrant ce qui relève de l’habitus, c’est-à-dire en évaluant des éléments non transmis à l’école et en créant ainsi de l’échec scolaire.

Les normes, c’est aussi partir du principe que chaque élève est disponible psychologiquement, dispose d’un ordinateur, de bonnes conditions de travail à la maison (une atmosphère propice à la concentration, du temps, un espace, du soutien et de l’accompagnement).

L’école, comme l’ensemble de la société, crée des situations de handicap qu’elle pourrait éviter, en repensant sa pédagogie et ses outils.

Par exemple, l’école peut se dire "inclusive" en faisant charité de quelques compensations aux élèves présentant des "troubles en dys"... mais sans toucher à un cadre qui met d'office ces élèves en difficultés.

On peut voir les normes de classe sévir violemment quand les enseignant·es donnent des devoirs à la maison, qui plus est s'ils sont notés, ou avec certaines versions de "classe inversée".

Les élèves ne rentrant pas dans les normes dominantes sont également exclu·es, au sens figuré : exclu·es du discours, des représentations. On les fait participer à une école qui ne leur est pas directement adressée.

3- Comment peut-on déconstruire, selon vous, les normes sociales de domination dans le système scolaire ?

Les normes tirent leur puissance du fait d’être invisibles : les nommer, les visibiliser, c’est les fragiliser. Un axe essentiel est le fait d’en prendre conscience.

Cela nécessite un travail des enseignant·es sur elles et eux-mêmes. Car il ne s’agit pas seulement de conscientisation chez les élèves, mais chez les enseignant·es aussi : leurs pratiques sont imprégnées de représentations qui agissent à leur insu.

Elles tirent aussi leur force de leur capacité à faire croire qu’aucun autre modèle n’est possible. Il est donc fondamental de montrer des modèles alternatifs, et en particulier des modèles actuels, de nos sociétés.

Cela dit il s’agit de “normaliser” ces représentations “hors normes”, en sortant de la logique de l’exception. Une illustration de cette logique est de représenter systématiquement les personnes en situation de handicap pour illustrer ce handicap qui semble les définir.

Si représenter des personnes en fauteuil roulant, par exemple, est important, il est indispensable de les représenter dans des situations quotidiennes. Ainsi elles sont présentées comme des personnes comme les autres, en situation de handicap : elles n’y sont pas réduites.

D'autre part, il est fondamental de favoriser l’autoreprésentation des personnes concernées par les discriminations. Il s'agit de sortir du cadre où les dominant·es parlent – même pour aider – à la place des concerné·es, et les renvoient à un rôle passif ou de second plan.

Par ailleurs, les normes se parent souvent d’une prétendue origine biologique. Insister sur (et démontrer) leur aspect construit, subjectif, est donc aussi un levier important. Particulièrement en biologie.

Enfin l’école peut promouvoir l’empowerment (l’empouvoirement) des élèves. Qu’elles et ils se sentent complètement légitimes de ne pas correspondre aux normes, et de s’y attaquer.

 

4- Comment selon vous pourrait-on faire de l'espace scolaire un espace qui ne reproduise pas les normes sociales de domination ? Qu'est-ce que serait un espace scolaire alternatif ?

Allez, rêvons un peu… (liste non exhaustive)

Un espace scolaire alternatif ne reproduirait pas les normes sociales de domination, aurait conscience de l’existence des dominations masculine, blanche, de classe, valide, adulte, hétérosexuelle, cisgenre, dyadique, grossophobe, de l’européocentrisme…

La communauté serait formée à la prise de conscience des mécanismes connus de l’intériorisation de ces dominations, de leurs manifestations et de leurs effets (par ex. l’effet Pygmalion, la menace du stéréotype…).

On n’y croirait pas à une neutralité possible, et on n’aurait pas seulement recours à des pratiques non normatives et non inégalitaires. Cet espace scolaire alternatif expliciterait la norme, la visibiliserait, la dénoncerait.

Il serait non seulement non raciste, non sexiste, non psychophobe…, mais aussi résolument antiraciste, antisexiste, antipsychophobe...

Cela se reflèterait dans les contenus enseignés, les manuels scolaires, la pédagogie, le langage utilisé, et dans les relations entre les différent·es membres de la communauté : école, familles, profs, élèves, personnel administratif, de cantine, de ménage, d’entretien…

Un espace scolaire qui ne reproduirait pas les normes sociales de domination promouvrait l’auto/inter-observation et l’auto/inter-évaluation des pratiques.

Il se soucierait de favoriser la participation de l’ensemble de la communauté scolaire (élèves, profs, familles, personnels) aux processus de détermination des règles de fonctionnement et à la vie de l’école.

Il ferait en sorte de promouvoir l’éducation émotionnelle, le dialogue, les relations horizontales et non hiérarchiques, la communication non violente, la médiation.

Il établirait des protocoles clairs et accessibles à tou·tes en cas de présomption de violences et discriminations de tous types – violences sexuelles, (cyber-)harcèlement, racisme, psychophobie, classisme, LGBTI-phobies… – et en évaluerait régulièrement la pertinence.

Il serait le reflet de la diversité de notre société, sans hiérarchie.

Il respecterait la liberté de conscience des élèves et des familles et amènerait une réflexion sur le rapport entre la laïcité à l’école et les discriminations systémiques islamophobes. Il se prémunirait contre la pression de groupes religieux sur les questions de genre.

Il défendrait l’investissement des pouvoirs publics, se prémunirait contre l’intrusion de la publicité et des entreprises dans l’école.

Il ne se contenterait pas de déconstruire l’idée de l’existence de races biologiques, il montrerait le processus de construction de races sociales légitimant des rapports de pouvoir et d’exploitation.

On y mettrait en évidence le système binaire hétéropatriarcal qui relie sexe, identité de genre, expression de genre et orientation sexuelle en les réduisant à deux options. On y montrerait que tous ces aspects sont en réalité distincts les uns des autres.

On y représenterait les sexes biologiques de manière non binaire, pour sortir d’une pathologisation des corps intersexes qui justifie les mutilations sexuelles. On n’y genrerait pas les corps.

On n’y présumerait pas du genre des élèves, on favoriserait leur autodétermination, y compris non binaire. On se parlerait pas des “filles” et des “garçons”, sauf pour identifier des réalités sociales liées à ces assignations.

Il transmettrait l’histoire des discriminations, ferait entendre les voix des personnes discriminées, transmettrait l’histoire de leurs luttes, les représenterait, les ferait intervenir dans l’école (élèves, ancien·nes élèves, membres du personnel, intervenant·es extérieur·es…).